mardi 15 mars 2011

Journal de Zoé : Lybie

Mardi 15 Mars 2011

Je recopie ci-dessous un article de Médiapart que je ne veux pas perdre.

Face à la situation libyenne, la communauté internationale offre de nouveau le spectacle de ses tergiversations. La France et la Grande-Bretagne sont allées le plus loin dans le soutien aux opposants à Mouammar Kadhafi et la promotion d'une zone d'exclusion aérienne, mais le tandem Nicolas Sarkozy-David Cameron a échoué à convaincre ses partenaires européens, en particulier la chancelière allemande Angela Merkel, qui n'a apparemment aucune envie de s'engager aux côtés des rebelles de Benghazi. La Russie et la Chine demeurent insondables, même si la première a annoncé lundi matin que Kadhafi et sa clique n'étaient plus les bienvenus sur son territoire. Restent les Etats-Unis, vers qui tous les regards sont tournés.


Une fois de plus, Washington détient la clef de la réaction occidentale. À la fois du point de vue militaire – vieille évidence – mais aussi sur le plan diplomatique. William Hague, patron du Foreign Office britannique, et Alain Juppé, son homologue du Quai d'Orsay, ont beau assurer qu'ils entendent tout faire pour appuyer le Conseil national de la transition (CNT) basé à Benghazi, c'est Hillary Clinton qui détient la carte maîtresse. Arrivée à Paris lundi pour s'entretenir à la fois avec des représentants du CNT, avec Nicolas Sarkozy, puis avec les ministres des affaires étrangères du G8, la secrétaire d'État de Barack Obama est celle dont tout le monde attend la parole comme celle de l'oracle. Il y a quelques jours, le grand manitou des services de renseignements de l'Oncle Sam, James Clapper, déclarait : « Sur le long terme, le régime libyen (de Kadhafi) reprendra la main. » Un commentaire qui a été immédiatement dénoncé par la Maison Blanche, qui ne veut pas donner l'impression de parier sur la défaite des insurgés, mais qui reflète néanmoins l'avis de beaucoup dans les milieux diplomatico-militaires américains.
Pourtant, aujourd'hui, dans le New York Times, une récente adjointe et une proche d'Hillary Clinton au Département d'Etat, revenue à la vie civile, s'est fendue d'une chronique intitulée « Tergiverser pendant que la Libye brûle ». Elle appelle, sans tarder, à un engagement américain en faveur d'une zone d'exclusion aérienne et une reconnaissance du CNT, et balaie tous les arguments en défaveur d'une intervention occidentale.
Après avoir cru à un renversement rapide du dictateur libyen, dans la foulée de ceux de ses voisins Ben Ali et Moubarak, les Occidentaux se retrouvent face à une situation de reconquête du pays par Kadhafi, son armée et ses mercenaires. Et ils sont désormais sommés de réagir.

  • Kadhafi peut-il reconquérir son pays ?
Commençons par un lieu commun : la situation évolue très vite en Libye. Il y a deux semaines, le « chien fou du désert » était contesté jusque dans sa capitale, et sa survie semblait une question de jours. Il y a une semaine, le temps des manifestations (réprimées) cédait la place à celui de la guerre, et les rebelles de Benghazi remportaient facilement quelques villes clés. Aujourd'hui, les forces de Kadhafi ont récupéré ces cités (Zaouïa, Ras Lanouf) ou sont près de renverser la tendance dans d'autres (Zouara, Ajdabiya). Benghazi qui, il y a encore peu, s'imaginait en capitale-bis, siège d'une pouvoir révolutionnaire, court le risque de devenir une ville assiégée.
Dans le même temps, le terrain regagné par les forces « loyalistes » concerne des villes isolées, rapidement conquises et mal défendues par des volontaires armés sans expérience ni stratégie. Reprendre Benghazi, où les rebelles ont choisi de maintenir le gros de leurs forces et de leurs équipements, ne sera pas une partie de campagne. L'avancée dans le désert, à coups de raids aériens et de pilonnage d'artillerie, pourrait alors se transformer en guérilla urbaine. Le gouvernement de Tripoli a beau avoir annoncé lundi à la télévision nationale que si les insurgés déposent leurs armes, ils seront « graciés », personne ne croit vraiment à une telle mansuétude, et l'on peut penser qu'ils se battront à mort.

Kadhafi a beau vouloir récupérer l'intégralité de son pays, on voit mal comment il peut espérer le gouverner à nouveau comme avant. Avec un embargo international, des voisins moins bien disposés à son égard (Tunisie et Egypte), la Ligue arabe qui a pris position contre lui, et une grande partie des Libyens qui ont goûté à la révolte, la Libye de Kadhafi ne sera plus jamais la même.

  • Une zone d'exclusion aérienne peut-elle renverser la tendance ?
Une zone d'exclusion aérienne, à supposer qu'elle soit validée par le trio Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, avec une forme quelconque d'aval du Conseil de sécurité de l'ONU, aura avant tout une portée symbolique. Jusqu'ici Kadhafi a fait un usage modéré de ses forces aériennes, qui ne se sont pas avérées décisives dans la reconquête territoriale de ces derniers jours. Ce n'est donc pas une telle mesure qui va changer drastiquement la donne militaire sur le terrain. D'autant que ses paramètres sont ajustables à l'infini (quelle zone sera protégée ? quelles sont les règles d'engagement ? quelles armes seront utilisées ?), offrant une efficacité à géométrie variable.
Par contre, le vote d'une zone d'exclusion aérienne ferait passer un message très clair à Kadhafi, à savoir que la communauté internationale se pose en protectrice de la rébellion – comme elle l'avait fait pour les Kurdes et les chiites en Irak dans les années 1990, ou en Bosnie-Herzégovine en 1993. C'est aussi le genre de mesure qui permet de « dégrader » progressivement l'armée adverse comme cela avait été le cas en Irak, où les chasseurs américains détruisaient régulièrement des armements irakiens (batteries anti-aériennes, stations de radar, avions) sous le prétexte, pas toujours avéré, qu'ils se montraient menaçants.
Surtout, une zone d'exclusion aérienne est désormais demandée à la fois par le CNT et par la Ligue arabe. Les appréhensions occidentales contre une intervention dans un pays arabe, ou la volonté de voir la « révolution » réussir de manière autonome, n'ont désormais plus lieu d'être à partir du moment où les rebelles eux-mêmes réclament cet appui, et que les pays arabes l'approuvent.

  • Faut-il armer les rebelles ?
Cette solution a été l'une des premières à être évoquée dès qu'il est apparu que Kadhafi ne tomberait pas aussi facilement que souhaité. Un certain nombre d'experts juridiques ont même expliqué que l'embargo contre les armes en direction des zones de combat pouvait facilement être contourné. Mais si cette option apparaît facile et séduisante (rapide, peu coûteuse, moins risquée), elle est en fait bien plus problématique. Si la rébellion de Benghazi manque d'armes, elle manque encore plus cruellement d'expertise pour s'en servir. Surtout, le précédent de l'Afghanistan dans les années 1980 devrait inciter à la prudence. Toutes les belles armes livrées par les Etats-Unis, et la formation des moudjahiddines pour les utiliser, tout a fini par se retourner contre les intérêts sur le long terme de Washington.

En ce début de semaine, une course contre la montre est désormais lancée : entre l'avance des forces de Kadhafi et la prise de décision de la communauté internationale. Si les premières arrivent aux portes de Benghazi avant que la seconde n'ait pris de décision, une zone d'exclusion aérienne ne servira plus à grand-chose. À défaut de pouvoir véritablement gouverner son pays, Kadhafi aurait alors la satisfaction d'avoir « repoussé » les Occidentaux. Ce qui serait sans doute pour lui une victoire plus douce encore.

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