vendredi 15 avril 2011

Journal de Zoé : fin de la lettre

Vendredi 15 Avril 2011

Je suis rentrée hier soir d’une sortie de deux jours épuisante. Nous avons alterné marches et bicyclette et je me demande si cela convient encore à nos âges.
Suite et fin de la lettre de « ma tante »

Donc pour en revenir à mes amours avec Paul et Gaby, nous formâmes un ménage à trois, harmonieux, ma foi, jusqu’en Septembre 45.
Là, je devine que tu vas penser « Mais, en Juillet 44, cette gamine avait au plus 18 ans, d’après ce qu’elle me dit ; le village de M… est un petit village où une histoire de ce genre ne pouvait que faire scandale ; comment les parents ont-ils accepté cette situation ? »
C’est une question que je me pose encore. L’époque était bizarre, vois-tu ? Nous n’étions plus vraiment là. Me rechercher aurait signifié me livrer à la Gestapo. Peut-être même ont-ils eu peur de Paul ? Ils n’ont rien essayé, à ma connaissance. Par la suite, au retour à la normale, ils ont refusé de me revoir. Et cela m’a été, m’est toujours, indifférent.
Mais est-il bien utile de revenir sur tout cela ? Mon pauvre Gabriel ! Mon pauvre Paul ! Je me suis longtemps interrogée avant de me décider à commencer cette lettre, voici déjà une semaine, et je me demande encore si je vais aller au bout. Tu n’imagines pas combien cela est pénible avec mes pauvres doigts déformés par l’arthrite. Je ne peux écrire que quelques lignes chaque jour ce qui ne m’aide pas toujours à suivre un ordre logique irréprochable. Tu as du remarquer cela et aussi mes différences d’écriture ; certains jours j’écris presque comme autrefois, mais la plupart du temps cela devient si irrégulier que j’ai moi-même toutes les peines du monde à me relire. Et ce n’est pas seulement mon écriture qui m’abandonne, ce sont aussi certains souvenirs, hélas ! Je ne suis même pas totalement assurée de la réalité de ce que je te raconte là.
Voilà un mois, j’ai ressorti un tas de vieilles lettres pour retrouver des repères. Tiens ! Je me demande si Claudine n’est pas tombée dessus  et si ce n’est pas son « roman d’amour un peu comme Jules et Jim ». Après tout, grand bien lui fasse ! Je ne vois pas ce que ma godiche pourra en tirer.
Tiens ! J’ai dit « godiche » comme ma mère quand elle parlait de ses bonnes.
Je crois que je vais quand même t’envoyer ce que j’ai déjà écrit et peut-être, à moins que tu ne viennes me voir avant pour entendre la suite de vive voix, t’en dirai-je un peu plus dans une prochaine lettre.
Celle qui fut pour toi,
                                       Tante Jeanne.

J’ai presqu’envie d’aller la voir, mais Lucien me le déconseille fortement. Il dit que je vais m’engluer dans une sorte de chantage aux sentiments et je pense qu’il a raison, mais j’entends dans cette lettre un appel au secours qui ne me laisse pas indifférente.
Et surtout, surtout, il y a ce vague souvenir qui me poursuit depuis si longtemps : je sais, ma raison sait que je ne peux pas avoir de souvenir de ma mère et pourtant, depuis toujours j’ai l’image vague  d’une présence maternelle. Pourquoi ne serait-ce pas Jeanne précisément ? Il peut y avoir dans son récit un fond de vérité. Mon père n’a jamais eu de frère mais cela n’implique pas l’inexistence d’un Gabriel et d’une Jeanne. C’est peut-être mon passé qui m’est offert.
Lucien me dit que je risque surtout d’y perdre ma belle indépendance. Il a raison. C’est évident.

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