samedi 9 avril 2011

Journal de Zoé : les amours de "ma tante"

Samedi 9 Avril 2011

Hier, longue marche.
Aujourd’hui, vélo.
Je suis épuisée.
Voici la suite de la lettre (la suite si on veut ; comme d’habitude, je reprends un peu avant pour conserver une cohérence au morceau publié).

Ici, il me semble nécessaire de commencer mon récit à son commencement, c’est-à-dire en Décembre 43. Ton oncle Gabriel et moi étions alors à l’Ecole Normale, c’était notre première année. Nous nous « fréquentions » comme on disait alors. J’avais obtenu de mes parents l’autorisation—je n’avais pas dix-huit ans et, à cette époque et pour longtemps encore la majorité ne s’obtenait pas avant vingt et un ans--, j’avais donc l’autorisation, car ils avaient en moi toute confiance, de passer la soirée et la nuit de Noël—à ce moment-là, en pleine occupation, avec le couvre-feu, la soirée impliquait toute la nuit, bien évidemment-- dans la famille de ton oncle Gaby. C’est là que je rencontrai  Paul pour la première fois. Veuf, un peu mélancolique, genre « beau ténébreux » de cinéma, il ne pouvait manquer d’éveiller l’intérêt d’une adolescente romantique et, il faut le dire, un peu niaise.
Dès le premier regard, je ne vis plus que lui et je dois à la vérité de dire que ce fut réciproque ; c’était, à n’en pas douter, ce coup de foudre dont je croyais l’existence réservée au cinéma et à la littérature pour demoiselles pales comme l’a nommée quelqu’un dont le nom m’échappe pour l’instant. Je ne luttai pas, lui non plus, « je fus toute à lui » comme on peut le lire dans le genre de romans roses dont je te parlais à l’instant. Quand il me dit son appartenance au « parti » et à la Résistance, tu imagines sans peine, je n’en doute pas, la (illisible) de mon admiration. Gaby, mon premier amoureux, je l’avais oublié, gommé, supprimé, sans l’ombre d’un scrupule. Bien entendu, ce que je te raconte là ne fut pas l’affaire d’une nuit, fût-elle de Noël. Je rencontrai donc Paul à Noël 43, nous devînmes amants le 10 Janvier 1944—date que je n’ai jamais oubliée—pendant une maladie de Gaby. Si je me rappelle bien, Paul ne me parla de son engagement qu’en Juillet.
Je me relis et je pense que tu dois trouver cette histoire bien ridicule, mes expressions quelque peu ampoulées, que tu diras que j’aurais aussi bien pu écrire  « Je le vis, je rougis, je palis à sa vue… » ; il est bien difficile de parler de ce qui m’arriva cette nuit de Noël sans tomber dans le (illisible) . Attention ! Je ne suis pas en train de te dire que les vers de Phèdre sont dignes du roman de gare. Là, je m’embrouille. Disons que je trouve que «Je ne luttai pas, lui non plus » ou «dès le premier regard, je ne vis plus que lui » me semblent un peu mélo mais que je ne vois pas comment dire autrement, mais que si j’avais écrit les vers de Racine l’expression aurait peut-être été plus exacte  mais aurait ajouté à ton inévitable scepticisme. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Mes années d’enseignement sont là, derrière moi, pour me rappeler que se faire comprendre est une chose presque impossible. Mais je m’embrouille encore. Je n’ai pas entrepris  la rédaction de cette lettre, travail devenu très pénible pour moi avec mes pauvres mains qui ne m’obéissent plus, cela se voit évidemment à mon écriture qui ressemble au (deux mots illisibles) de Montaigne, pour te parler pédagogie, cela va de soi. Je te parlais donc de mon idylle avec ton père et j’en étais au début de l’été 44. Evidemment, je voulus immédiatement adhérer, au parti et à la Résistance.


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