mardi 10 mai 2011

Journal de Zoé : Témoignages

Mardi 10 Mai 2011

Il me souvient d’un autre 10 mai.
10 Mai 1981. Que nous étions heureux ! Quelle déception !

« Ma tante » essaie de s’en sortir comme elle peut :

J’ai surement commis une autre erreur, une erreur que Gaby et moi avons faite toute notre vie, une erreur qui peut, si vous l’avez remarquée, vous avoir fait croire à de l’affabulation ; je pense avoir dit que Gabriel et moi étions à l’Ecole Normale en 43 ce qui est impossible, Pétain l’ayant supprimée des 1940. Eh bien, cela je l’ai dit parce que j’y croyais, j’y ai cru fermement, et Gabriel aussi, durant des années ; ce n’est qu’aujourd’hui, parce que j’essaie de me remémorer le contenu de ma lettre précédente, ce qui m’oblige à un effort intellectuel que je néglige habituellement—habituée à dire « Nous étions à l’Ecole normale en 1943 », je le rabâche  sans réflexion ». En réalité, nous avons fait un stage à l’Ecole Normale rétablie après la Libération et, par un effet que je m’explique mal, nous avons cru de bonne  foi en avoir été les élèves plus tôt, ce qui aurait très probablement été le cas si le monde n’était pas devenu fou. Cette aberration de la mémoire peut te paraitre curieuse et pourtant… Si on examine bien la plupart de nos souvenirs d’enfance, on a souvent bien du mal à reconnaitre  les souvenirs d’événements réellement vécus, les souvenirs construits à partir de ce qui nous a été raconté par les adultes, les souvenirs construits à partir de nos propres angoisses(il arrive, parait-il, fréquemment que des enfants croient contre toute vraisemblance avoir provoqué la mort de leur petit frère , de leur père ou de leur mère, qu’ils gardent le « souvenir » de cet évènement), cela tout le monde le sait. Eh bien, il en va de même parfois pour la mémoire de l’adulte. J’ai à V… une voisine, assez influençable, devenue mon amie depuis mon installation ici, qui me racontait comme véridique et arrivée à son père une histoire que j’avais déjà lue plusieurs fois sous des formes légèrement différentes dans des Contes et Légendes de plusieurs régions du monde. Il s’agit d’un paysan qui vend un animal (cheval, âne, mule, chameau ou dromadaire, âne  dans notre cas) puis qui, voulant en acheter un autre plus jeune se fait « refiler » le sien dument maquillé.  Pourquoi, après tout, une histoire qui trainait partout ne serait-elle pas arrivée réellement au père de ma voisine ? Pour quelle raison aurais-je mis son récit en doute ? J’avais un doute toutefois. Je m’en ouvris donc à Aline, la belle-fille de ma brave amie qui ne fit qu’en rire. Selon elle, jamais ni elle ni son mari n’avait entendu parler de cette histoire du vivant du grand-père, grand conteur de fin de repas qui n’aurait pas manqué de mettre ce beau coup à son répertoire même si l’histoire n’était pas absolument à son avantage ; cette histoire a été rapportée une dizaine d’années après sa mort par un ami de la famille, grand conteur lui-même qui, selon  Aline, améliora une vieille histoire en l’attribuant à un personnage connu de ses auditeurs, tout simplement. « L’extraordinaire  c’est que ma belle-mère a accepté toute l’histoire, ne s’est pas une seconde demandé comment elle pouvait ne jamais en avoir entendu parler, l’a proprement adoptée en la racontant à son tour. Et je ne sais pas s’il a jamais eu une mule…»a-t-elle conclu.
Il me revient aussi une histoire  qui aurait pu être beaucoup plus grave de l’époque où je vivais encore à M…
Un ivrogne local, Monsieur P… passant devant la maison de ton père est tombé , son crâne a porté contre les rails du tramway ou contre une bordure de trottoir, il en est mort.
Madame L… avait vu passer la voiture de Monsieur X…
Il y a eu enquête de gendarmerie.
Madame L… a témoigné avoir vu la voiture de Monsieur X… au niveau  de Monsieur P… au moment de la chute.
Ta tante Berthe était devant votre porte au même moment. Elle a vu l’automobile de Monsieur X… passer devant elle, puis Monsieur P… sortir du café, chuter après une vingtaine de mètres—distance évaluée par la gendarmerie.
L’enquête a innocenté Monsieur X…, « aucune trace d’impact par un véhicule automobile n’ayant été constatée ».
Berthe et Madame L… sont restées en froid quelques semaines.
Berthe me rappelait parfois cette histoire quand elle venait me voir. Elle était persuadée de la bonne foi de Madame L… qui n’a d’ailleurs jamais accepté , contre toute évidence, de reconnaitre son erreur.

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